Mill Bone a été la première jument avec qui j’ai passé énormément de temps. Laissez-moi vous raconter son histoire…
J’ai vécu pas mal d’histoire avec les chevaux. Celle de la jument Mill Bone, qui a partagé ma vie durant 2 années, m’a laissé comme un gout amer dans la bouche.
A l’époque je ne devais avoir pas plus de 13 ans. J’avais chez moi un box, construit par mon père, et un terrain de 3000 m où ma chèvre (Réglisse) se prélassait. Après avoir gardé un cheval en convalescence à la maison, mon amie qui avait des chevaux de course, me parle d’une jument qu’elle connait et qui est en mauvais état.
Je demande à mes parents, ils sont d’accord… On prend la jument chez nous pour la remettre en forme. Elle s’appelle Mill Bone et j’ai hâte de pouvoir la voir. Mais, lorsque la jument débarque du van je comprend de suite que ce ne sera pas du tout cuit. Une pur-sang anglais, d’environ 1,65 m et qui pèse à tout casser 350 kg.
Ce n’est pas une jument, c’est un sac d’os. Elle a du mal à se déplacer. Elle est sale, pleine de tiques. Et comme si ce n’est pas suffisant elle a la piroplasmose (maladie du sang causée par les tiques).
Heureusement je suis jeune et insouciante et je n’imagine pas qu’elle puisse mourir chez moi.
Maintenant je me dis que j’angoisserai tous les soir si j’avais à revivre cette expérience.
Les premières journées sont laborieuses. Je met même à contribution ma mère, qui n’est pas vraiment fana de chevaux, pour nettoyer la pauvre jument. Un maximum de produit anti-tiques et de l’huile de coude ont raison des tiques. Ils me dégoutent particulièrement depuis cette date.
Pendant plusieurs jours mon amie vient faire une piqure à la jument pour traiter la piroplasmose et pour voir comment elle va.
Niveau nourriture, j’y vais progressivement bien évidemment. Je lui prépare des mélanges à base de son mouillé (pour éviter les bouchons), de maïs (pour la graisse), d’orge et de granulés. Petit à petit la jument reprend de la force. Au bout de 3 mois (sans coliques, ni complications) elle ressemble un peu plus à un vrai cheval. Mais elle ne reprend son état qu’au bout d’un an environ.
Et je ne vous ai pas parlé de ses pieds… une catastrophe… Elle avait des pieds ultra plats, les talons rentrés. Avec le maréchal ferrant, nous avons fait en sorte qu’elle reprenne un peu de talon. D’un coté lui la ferre de telle manière à soulager le talon et de mon coté je masse tous les jours la couronne du sabot avec de la cornucrescine. Le travail effectué porte ses fruits, et même si elle n’a pas de sabot d’ibérique, ils ont une forme un peu plus normale.
La passion de la jument pendant sa convalescence était de jouer avec la chèvre et l’imiter aussi. Elle grimpait sur les rocher et lui courrait après. Elle lui grattait aussi le dos de temps en temps.
Une fois la jument remise en état, je demande l’autorisation de la monter. Problème, elle n’a jamais rien connu d’autre que les courses et il faut là encore y aller en douceur. Mais contre toute attente cette jument est adorable. Malgré toute la misère qu’elle a subit, elle a su reprendre confiance en l’homme. Enfin… la femme plutôt. Mill Bone ne supporte pas les hommes !
En recherchant un peu dans son passé, j’apprends qu’à partir d’un jour, elle n’a plus voulu de jockey homme sur son dos. La petite histoire est qu’un matin 7 jockeys sont tombés tour à tour de la jument. En dernier, une femme jockey a essayé de la monter et la jument est restée tranquille. Une vraie tête de mule mais le cœur énorme du Pur-sang.
Je peux tout faire à l’époque avec elle. Des balades à n’en plus finir, a cru ou pas. Sauter des obstacles trouvés sur les chemins. Et j’ai même pris quelques cours avec elle dans le centre équestre proche de chez moi.
Jusqu’au jour où son propriétaire me la reprend pour la vendre.
Pourquoi je ne l’achète pas ? Mes parents n’en ont pas les moyens. Et même s’ils l’avaient eu, je pense que je n’aurais forcément voulu. J’ai toujours préféré ne pas m’attacher trop aux chevaux. Mais je suis tout de même triste qu’elle parte et ma chèvre aussi. Je me rappelle des jours qui ont suivis son départ elle n’arrêtait pas de la chercher et de l’appeler…
Mill Bone est vendue pour devenir poulinière. Son grand père n’est autre que Mill Reef (très célèbre pur sang dans le monde des courses hippiques).
Mais le grand malheur de cette jument est qu’elle n’a jamais aimé voyager.
Le grand père de Mill Bone : Mill Reef
Une fois dans le champ où elle aurait du pouliner, elle ne reprendra jamais le van, et ne sera donc jamais saillie. Les personnes qui l’ont achetée n’étaient vraiment pas doués. Et pire que tout, elle y mourra quelques temps plus tard sans aucune considération.
Faut-il cependant garder en mémoire que la fin de l’histoire ? Je ne le pense pas. Tous les moments partagés avec cette jument ont été de bons moment malgré tout. Et cette histoire peut ressembler à tant d’autres.
Pourquoi ?
Les chevaux vivent longtemps, très longtemps. Et bien souvent ils ne connaissent pas qu’un unique propriétaire. Et avec toute la bonne volonté du monde, se séparer d’un cheval est un passage à franchir pour bon nombre de cavaliers. Soit le cheval ne convient pas ou plus, soit les finances ne permettent plus de l’entretenir… Et il n’est pas toujours certain que le destin conduise le cheval vers de bons chemins.
Alors le gout amer que je ressent est celui là. J’aurais été plus âgée, j’aurais peut être trouvé une autre solution (mais ce n’est même pas sur). Je pense que c’est pour cela que je ne voulais pas à l’époque m’attacher aux chevaux qui venaient chez moi. Pour ne pas être trop déçue par la suite.
En grandissant j’ai toujours gardé un peu de ça au fond de moi…
Je n’ai malheureusement pas beaucoup de photo d’elle. Les appareils photos numériques n’existaient pas à l’époque. Voici son portrait :