La rédaction du mémoire de ma thèse arrive à sa fin, j’ai de nouveau le temps de jouer et d’écrire pour Ludomaniaque !
Bastion, voilà un jeu auquel j’attendais de jouer avec impatience. Et c’est une promo Steam qui m’a fait définitivement craquer, et fait se vaporiser huit heures de ma vie. La meilleure façon de présenter cette petite merveille (car oui, je spoile déjà la fin du test) est de le décrire comme un action-RPG en 3D isométrique (vous savez, comme Diablo) caractérisé par deux choses :
– une direction artistique hors du commun,
– une narration diablement innovatrice.
Un réveil tout en douceur
Le jeu commence, un narrateur à la voix rocailleuse vous explique brièvement votre situation : vous êtes endormi sur une île flottant au milieu du ciel. Et là rien ne se passe, pas de script. Vous voyez votre personnage dormir. Alors vous regardez votre manette et vous appuyez sur un bouton. Et là votre avatar, le Kid, se lève. Et le narrateur, silencieux jusqu’alors, commente votre action et une musique hypnotisante démarre. Alors que vous progressez, vous constatez que l’île sur laquelle vous étiez endormi n’est finalement pas si isolée, le sol se reformant sous vos pieds à mesure que le personnage avance, carreau par carreau, telle une mosaïque. Et le narrateur continue de commenter ce qu’observe le Kid, communique au joueur ce qu’il ressent, comme s’il contait une histoire. Et croyez moi, ça sera une belle histoire, mais un mot sur le jeu en lui-même tout d’abord.
Le cœur tout entier de l’innovation apportée par le gameplay de Bastion est révélé lors de cette première minute du jeu, et c’est ce qui tend à le rendre immédiatement accrocheur. Cette innovation se traduit par deux facteurs fondamentaux.
Premièrement, la narration (le story-telling comme disent nos amis outre-manche) est dynamique et ce n’est que très rarement que le joueur lâchera la manette pour écouter un discours d’un personnage non joueur. Ce point est salutaire et résout finalement une des grandes tares des RPG modernes. Prenez Baldur’s Gate par exemple, un jeu mythique, d’une qualité indéniable. Et pourtant, dès que vous entamez un dialogue avec un personnage, un gros mur de texte apparait et le jeu cesse d’être un jeu, il devient un livre. Un livre parfois vaguement interactif, des choix étant parfois donnés pour orienter le dialogue, mais il reste un livre où l’interaction du joueur est réduite à son strict minimum. Le même problème touche les jeux de rôle actuels, comme Dragon Age ou encore Mass Effect, remplacez simplement le livre par un film et au final l’impression reste la même : le joueur semble mis de côté lorsque l’histoire est racontée. Bastion arrive quant à lui à mêler d’une façon incroyablement élégante le story-telling et le gameplay. Jamais le joueur ne s’arrête de jouer, le narrateur lui décryptant l’univers et lui dévoilant l’histoire en temps réel en fonction de sa progression et des choix qu’il est amené à faire. Et de fait, l’idée même de s’arrêter de jouer ne lui traverse pas l’esprit.
Cela est également dû au second facteur. Le monde dans lequel vous évoluez s’érige à mesure de la progression du Kid. Ainsi, c’est votre interaction avec l’univers qui le fait se construire. Même lors des phases d’explorations, qui sont normalement des phases relativement passives de la part du joueur, son action sur le monde est évidente, et donne envie d’aller plus loin. Plus loin pour savoir quel décor va se créer, quelle histoire va se dévoiler, et quelle menace le Kid va affronter.
Des mécanismes de jeu simples et bien pensés
Car s’il commence l’aventure seul, il ne le reste pas longtemps. Si le monde est dans cet état, c’est à cause de la Calamité qui l’a mis en pièce. Cependant, vous n’êtes pas le seul rescapé. Certains sont pacifiques, le mot ayant circulé qu’en cas de catastrophe, tous devaient se rejoindre sur le Bastion, ilot flottant et dernier espoir de survie d’une population décimée. Mais la plupart des survivants, comme la faune de Caelondia ou les anciens esclave-ouvriers de ce monde, sont agressifs. Et le Kid devra les affronter pour remettre le Bastion en état de marche, cette réparation étant fil conducteur du scénario. Elle amènera le joueur à explorer de nombreuses zones indépendantes de manière plus ou moins linéaire, récoltant expérience et équipement tout en lui permettant d’avancer dans l’histoire. Je disais que ce titre est un action-RPG, et en cela le jeu offre un arsenal varié (les armes pouvant être améliorée sur le Bastion à mesure de la progression), une progression du personnage simple mais bien pensée (utilisant des bonus passifs se débloquant au fil des niveaux) et un système de combat très dynamique quoiqu’assez classique. Néanmoins chaque arme apporte un style de jeu différent, ce qui conduit à rendre l’expérience particulièrement variée.
Une direction artistique enchanteresse
Mais ce qu’on retient de Bastion, en plus des innovations qu’il apporte, au-delà de son gameplay efficace et varié, c’est sa direction artistique. Le jeu est en 3D isométrique, et donc techniquement peu impressionnant. Mais chaque décor, peint à la main, est une véritable fresque de couleurs toutes plus vives les unes que les autres. D’un bazar oriental aux débris d’une mine dévastée en passant par quelques ilots de nature vierge épargnée par la catastrophe, l’impression de voyage est permanente et on se laisse volontiers transporter dans l’univers de Caelondia, tant il est exceptionnellement rendu. L’aventure est en plus d’autant immersive que c’est le joueur, par son exploration, qui construit la mosaïque qui compose les décors. Et que dire des musiques, toutes plus envoutante les unes que les autres, le style variant au fil des niveaux, allant d’un folk tendre à de l’électro-rock nerveux en passant par une musique type « far west » qui n’est parfois pas sans rappeler certaines musiques de Cowboy Bebop pour les connaisseurs. Le jeu a bénéficié d’un réel soin de ce point de vue-là, et en tant qu’album à part entière, la bande originale du jeu n’aurait pas à rougir.
Au final, Bastion fait partie de cette catégorie de jeu que j’ai été simplement triste de terminer. Son univers, ses personnages, ses musiques, tout est tellement bien fait qu’on a envie d’y rester attaché le plus longtemps possible et de finir ce jeu à petites gorgées. Mais l’expérience est tellement addictive que les huit heures de jeu passent comme un charme, trop vite. Supergiant Games, les développeurs du jeu, ont tout compris au jeu vidéo, le cœur de ce média est le gameplay, et ils ont poussé le développement de leur action-RPG à un niveau d’orfèvrerie rare, éliminant au plus possible les phases de passivité du joueur pour fournir une expérience d’interaction totale tout en se payant le luxe de l’accompagner d’une direction artistique enchanteresse. Et pour 13€ (hors promotion), j’ai du mal à trouver un autre jeu sorti cette année qui parviendra à vous transmettre autant d’émotions.
NB : D’un point de vue purement pratique, je ne peux que vous recommander de jouer à ce jeu à la manette (la manette XBOX 360 pour PC étant idéale), cela n’en rendra l’expérience que meilleure.