Ça ressemble au rêve de tout joueur de jeu vidéo : profiter d’une centaine de jeux récents, dont une bonne partie des très grosses productions actuelles, en version complète et illimitée, pour quelques euros par mois. C’est ce qu’offre depuis plusieurs mois l’abonnement premium de Xbox avec son « Game Pass ».
A l’heure ou j’écris ces lignes, pour 12,99€ par mois, je peux profiter sur ma console de Forza Horizon 5, de Halo Infinite, de Sea of Thieves, de Rainbow Six Siege, de Minecraft, de l’ensemble du catalogue de Bethesda (Skyrim, Fallout, Doom…), de Final Fantasy, de Dragon Quest, d’Octopath Traveler ou encore de petits bijoux indépendants (Art of Rally, Far Changing Tides, Gang Beasts…). Mais en plus de tout ça, je peux également profiter sur mon PC de Football Manager 2022, d’Age of Empires 4, de Crusaders King III, d’Humankind, de Flight Simulator…
N’en jetez plus, la liste est abyssale et les heures de jeu possibles quasi infinies. Pour un « gros » joueur comme mois, mes 150 euros par an m’en font économiser près du quintuple ! Et pourtant, abonné au service quasiment depuis son lancement, j’ai comme un mauvais arrière goût dans la bouche. Comme si Xbox, sournoisement, m’avait vaincu dans une guerre que je m’étais juré de lui mener le couteau entre les dents.
Le triomphe de la dématérialisation
Cela fait longtemps que Microsoft fait la guerre au support physique. Le premier assaut frontal date en effet de 2013 et de l’annonce de la Xbox One. Avant de faire un immense rétropédalage face à la grogne des joueurs, la firme américaine présentait alors une console certes dotée d’un lecteur de disque, mais à la connexion internet obligatoire pour pouvoir lancer les jeux. L’objectif était d’empêcher le prêt, de réduire drastiquement le marché de l’occasion mais aussi d’orienter de plus en plus les joueurs vers l’achat dématérialisé. Une tentative avortée, qui allait connaître une suite.
En 2019, alors que la firme se prépare à une nouvelle génération de consoles, elle propose la Xbox One S « digital édition ». Cette évolution de la Xbox One est vendue sans lecteur optique et ne peut donc faire tourner que des jeux téléchargés sur la boutique officielle Xbox. Une première étape pour préparer la sortie en 2020 de la Xbox Series S, elle aussi dépourvue de lecteur physique et beaucoup moins chère que sa grande sœur qui rencontre un succès indéniable. Indubitablement, l’avènement du Game Pass a permis de faire passer la pilule auprès des consommateurs attachés à leurs vieilles boites et au plaisir de la collection.
L’avènement du jeu jetable
Au fond, qu’est-ce qui cloche avec le Game Pass ? Bien sûr, on peut commencer par mettre en avant le principe de dépossession. Avec mon abonnement, je ne possède rien. Je paye juste le droit de jouer, pendant le temps ou je paye mon abonnement, à un nombre important de jeux. Je n’achète absolument rien, mais je paye chaque mois pour un service, de la même manière que pour mon abonnement Netflix. On pourrait presque y trouver un intérêt philosophique (une sorte d’anti-consumérisme du jeu vidéo), ou même une sensibilisation à l’écologie. Difficile toutefois d’ériger Microsoft comme anti-capitaliste ou d’ignorer l’empreinte carbone exorbitante des connexions internet et des serveurs de stockage.

Mais au-delà de ça, un aspect gênant réside sur la « date de péremption » qui plane sur l’ensemble des jeux du catalogue. Car pour conserver son service autour d’une centaine de jeux disponibles dans son abonnement, Xbox doit chaque mois « faire de la place » aux nouveaux entrants. Chaque mois, il « sort » de l’abonnement autant de jeux qu’il n’en rentre. Vous n’avez pas fini votre jeu ? Tant pis, il faudra passer à la caisse si vous souhaitez le conserver. Après tout, vous n’aviez qu’à y jouer avant, au moment où il « fallait » y jouer.
Vers une perte d’autonomie de choix ?
Peut-être que la clé du problème est là : suis-je totalement libre de mes choix ? Bien sur qu’ils sont influencés depuis des décennies par de nombreux facteurs : la hype, les trailers, les screenshots, les tests, le budget marketing et la masse de publicités qui accompagnent les différentes sorties. Sauf qu’aucun de ces leviers ne touche à ma feignantise et surtout à mon portefeuille. A quoi bon prendre le temps de la recherche et de l’information ? J’ai devant moi une offre de service qui de toute façon me fera prendre du bon temps. A quoi bon prendre le risque de dépenser jusqu’à 70 euros d’un coup pour une nouveauté qui pourrait ne pas me plaire, alors que je peux jouer « gratuitement » à tellement d’autres choses. Car oui, avec un système d’abonnement, on en oublie presque qu’on paye chaque mois. Aujourd’hui, avec une bonne dose de mauvaise foi, je pourrais presque affirmer que Microsoft décide des jeux auxquels je joue, et à quel moment je dois y jouer.
On a beaucoup parlé de l’uberisation de la société, et je me demande si le jeu vidéo n’est pas en train de souffrir de « netflixation ». Est-il encore possible d’exister sans être soutenu ou absorbé par un mastodonte ? Les nouvelles idées auront-elles encore la possibilité d’exister si elles ne sont pas mises en avant par des services comme le Xbox Game Pass ? Mes prochaines sessions de jeu ne seront-elles rythmées que par ce qu’on me propose dans un abonnement, complété éventuellement par des jeux « conforts » que je connais par cœur et que je suis quasiment certain d’apprécier (Fifa, GTA, Diablo…) ?
Avec le Xbox Game Pass, Microsoft est en train de révolutionner la manière de consommer du jeu vidéo. La qualité des jeux proposés, leur nombre et surtout leur facilité d’accès me transforment en « zappeur » invétéré. Et tant pis si ailleurs d’autres jeux auraient mérités mon intérêt, ils n’avaient qu’à être sous mon nez.